C'est un peu par hasard (en tombant sur une jolie phrase pendant que je le feuilletais) que j'ai achété ce bouquin du philosophe Thomas De Koninck, professeur à l'Université Laval. Lecture lente, j'ai pu recueillir une quarantaine de citations/extraits que j'ai bien évidemment déposés sur Au fil de mes lectures. L'incipit du livre indique bien de quoi il s'agit :
Il existe en réalité deux formes d'ignorance qu'on pourrait qualifier de « nouvelles », mais qui sont diamétralement opposées. La première ouvre et libère, la seconde emprisonne et tue. La première, qu'il faut célébrer, se traduit par de nouvelles interrogations suscitées par de nouvelles découvertes. Elle est le moteur de toutes les avancées du savoir. La seconde fait au contraire vivre dans l'illusion qu'on sait alors qu'on ne sait pas et s'apparente à ce que Platon appelait « la double ignorance ».
Et cet autre extrait, trouvé en page 57, que j'aime bien :
Les langues de bois (ou de coton, ou de circuit imprimé) de nos bureaucraties et d'un certain monde des affaires - on ne dit pas « mettre à pied », on dit « rationaliser », « consolider », « restructurer » - font chorus. Václav Havel a dénoncé avec justesse dans ces langues et dans ces autres formes de pouvoir anonyme, impersonnel, le même automatisme irrationnel et la même humanité que dans les systèmes totalitaires contemporains. La haine viscérale du langage et de la culture qui les marque tout autant ne permet d'ailleurs pas d'en douter.
On y trouve plusieurs bons mots sur l'éducation. Par exemple :
Ce qu'il s'agit de former avant tout [...] c'est le jugement critique ; lui seul rend autonome, lui seul rend libre. Ainsi le défi principal de l'enseignant est-il de susciter une autonomie culturelle suffisante chez l'étudiant pour qu'il puisse exceller en ce qu'il fera et surtout puisse vivre dans la richesse du concret - du latin concrescere, « croître avec », on ne le redira jamais assez : l'arbre concret, c'est l'arbre individuel en toutes ses composantes et ses conditions, en sa vie même - par opposition aux nuages de l'abstraction et des réductionnismes. (p. 88)
Et en pages 96 et 97, on trouve :
Paul Valéry notait : « Pour apprendre quelque chose à quelqu'un, il faut avant tout provoquer en lui le besoin de cette connaissance. Cela suffit. Le reste n'est rien. » Il ajoutait : « Le moyen capital d'un enseignement "secondaire" est : l'éveil de l'intérêt pour les choses qui demandent effort. Créer le désir - obtenir l'effort - et toujours faire sentir sa récompense. Jamais effort sans but net et désirable. » Et encore : «Tout enseignement est vicieux qui ne commence pas par exciter le besoin auquel il est destiné à répondre. » Le défaut de « l'usage obligatoire des examens » est qu'il « produit une habitude du nécessaire et suffisant - qui est contraire à la valeur ». Simone Weil exprime clairement ce principe :« L'intelligence ne peut être menée que par le désir. Pour qu'il y ait désir, il faut qu'il y ait plaisir et joie. L'intelligence ne grandit et ne porte de fruits que dans la joie. La joie d'apprendre est aussi indispensable aux études qu ela respiration aux coureurs. Là où elle est absente, il n'y a pas d'étudiants, mais de pauvres caricatures d'apprentis qui au bout de leur apprentissage n'auront même pas de métier. » Si l'on en croit Lewis Thomas, « la pire chose qui soit arrivée à l'enseignement de la science, c'est que tout le plaisir [the great fun] en est parti [...]. Ils deviennent tôt déroutés, et on les trompe en leur faisant croire que la déroute est simplement le résultat de ne pas avoir appris tous les faits ». On leur fait accroire que les vrais chercheurs de pointe ne sont pas tout aussi déroutés qu'eux. « Une bonne moitié de nos connaissances actuelles sera sans doute fausse dans deux ou trois ans. L'ennui est qu'on ne sait pas de quelle moitié il s'agit. » (Michel Jouvet).
Le livre de 180 pages (et 35$) est publié chez PUF.